Les syndicats de police pour les nuls
30 Mai 2011
N’allez surtout pas déranger les syndicats de police, ils sont bien trop occupés à maintenir la police nationale dans le coma.
Si j’étais ministre de l’Intérieur, je crois que je leur distribuerais des galons à tous ces syndicalistes de bureau, que je leur cuisinerais des jolis petits déroulements de carrière, en échange de l’assurance que cette anesthésie générale ne cesse pas. Que l’encéphalogramme des troupes reste bien plat. Que le calme demeure.
D’ailleurs, je crois que c’est déjà le cas. En ce qui concerne le silence et l’avancement (dans la police nationale, il y a deux manières de monter très rapidement en grade : à titre posthume ou syndical) tout est sous contrôle.
Les fonctionnaires de police n’ont pas vraiment d’autre choix que celui par défaut, de subir leurs syndicats, et s’acquitter de grasses cotisations comme on paye une assurance voiture en croisant quand même les doigts pour qu’il n’arrive rien de grave.
L’avancement en grade et les mouvements de mutations devraient logiquement s’effectuer de façon mécanique et rationnelle, mais bizarrement il faut mieux être syndiqué. Dans les commissions paritaires, les irrégularités du fait de l’administration sont pourtant bien moins un enjeu que les arrangements et passe-droit syndicaux.
Quant à tout ce qui relève des conditions de travail en général et de la politique, il y a une novlangue de rigueur et le discours syndical via tracts et communiqués est éloquent :
Le syndicat "s’indigne" et il "condamne"
Il "soutient", il "dénonce",
et quand il est très remonté il "souligne", il "rappelle" et "réaffirme". Carrément.
Au comble de l’énervement, il "exige".
Parfois, il dit être "à l’écoute" mais on n’est pas obligé de le croire.
Et l’action syndicale, me direz-vous… L’action ? Fédérer pour une cause et faire bouger les choses, créer une dynamique, et pourquoi pas une pression, générer de la solidarité, construire, défendre le métier ? Néant. Sauf à considérer l’obtention de mesurettes statutaires comme de grandes victoires syndicales, et les descentes dans les services de police et les gesticulations un mois avant les élections professionnelles comme un intérêt sincère porté aux effectifs.
Dans le domaine de la futilité, on peut aussi observer que les syndicalistes occupent beaucoup d’espace médiatique à commenter les faits divers – exercice qui relève du micro-trottoir en à peine plus élaboré – donnant l’illusion d’une constante présence de terrain, pourtant complètement hors sujet en matière de défense des personnels et stérile concernant la définition du métier de flic, mais apportant la preuve que l’administration police n’a absolument plus besoin d’autres porte-voix que ses collaborateurs des organisations syndicales.
L’énergie et les grosses colères des représentants du personnel sont consacrées à tirer dans les pattes du syndicat adverse, balancer des piques et jeter de pathétiques peaux de bananes sous les pieds du frère ennemi, lesquelles attaques ont d’autant moins de sens que pas mal de permanents des bureaux nationaux ont joyeusement navigué d’un syndicat à l’autre au fil du temps et des dissidences.
J’ai croisé l’autre jour un vieux flic qui aligne au moins 50 ans de syndicalisme, et au plus 3 minutes de voie publique, autant dire que celui là doit en connaître un rayon…
Bref, preuve en est, la presque totalité des tracts d’un horizon à l’autre de ce monotone paysage syndical se termine par un grotesque coup bas vers celui d’en face. Le syndicalisme policier, c’est une partie de ping-pong à deux ou trois, qui fait du bruit parasite, et sature le discours et les panneaux d’affichage des services de police.
C’est l’administration qui doit bien rigoler.
Bien plus que les policiers qui regardent ces simagrées avec consternation, eux qui, bien plus pragmatiques que leurs délégués, ont toujours aspiré à une représentation collective, ou au moins, à des initiatives positives, sensées et porteuses d’espoir.
Les conditions de travail se dégradent, la RGPP met en péril la sécurité publique, les effectifs baissent à mesure que le nombre de missions augmente, le contexte social se complique, la violence se radicalise à l’encontre de la police, les flics de demain seront des contrats précaires et des outils de vidéosurveillance, le principe même d’une police nationale et républicaine n’a jamais été aussi vulnérable, et la parole policière par la voix de ses représentants reste linéairement la même, sans aucun relief, terriblement lissée et filtrée par les syndicats.
Plus cette parole est égale d’un communiqué à l’autre, plus elle est superposable d’un syndicat à l’autre, et moins elle est audible, jusqu’à devenir parfaitement inutile.
Quant à la parole critique ou dissidente, n’en parlons même pas.
Quand mon Flic, chroniques, de la police ordinaire est paru en 2007 en même temps que Le journal d’un flic du commandant P. Pichon, le délicieux JC Delage, grand manitou du syndicat Alliance, s'est fait un devoir de déclarer aussitôt via une dépêche dans la presse que "n’ayant pas de mandats, nous n’avions aucune légitimité pour nous exprimer en tant que policiers."
Plus récemment, je me suis vu interdire l’accès d’une page internet du SGP-Unité Police au motif que mes remarques "portaient atteinte à l’organisation" et j’ai pu constater qu’à défaut d’accepter le débat on ne boudait pas quelques mots empruntés à la rhétorique stalinienne pour opposer une petite censure de confort.
Tout ça en dit long sur la frilosité des représentants du personnel et - bien plus zélés que le ministère de l'Intérieur - leur propension à confisquer toute parole non accréditée.
La dénomination de porte-parole n’existe d'ailleurs pas dans les organisations syndicales de police, on n’est pas chez Lutte Ouvrière, et on affectionne les titres pompeux. Ces représentants sont des secrétaires généraux, nationaux, etc., ils ne savent pas avoir la carte de visite modeste. Porte-parole, ça aurait été bien pourtant, mais trop prolétaire peut-être, ou plus sûrement trop impliquant, le mot aurait fini par imposer son sens… Mais qu’est-ce qu’un flic sinon un prolo de la sécurité qui a besoin de syndicats solides, tenaces et fiables ?
La tâche est double : représenter et défendre les policiers dans leurs difficultés, et la police, service public républicain, porteur de valeurs et de principes à préserver et tenir hors de portée des tourments sociaux et politiques.
C’est bien moins la population qu’il faut convaincre que ceux qui décident. L’administration, la hiérarchie policière, les parlementaires, tous les interlocuteurs de ceux à qui les flics ont donné un chèque en blanc pour parler en leur nom.
On est loin du compte.
À propos de la politique du chiffre par exemple, que manque-t-il encore pour démontrer que c’est une absurdité et pour poser des actes derrière des années de palabres ?
Une amie affectée à l’accueil du public dans un commissariat me disait être elle aussi soumise au chiffre : elle doit compter le nombre de renseignements qu’elle donne pendant son temps de service. Voilà où on en est.
Les syndicats de police ne peuvent plus prétendre être des contre-pouvoirs, ils font partie du système et ne sont que d’aimables filtres entre la base et l’administration.
Ils font diversion et, dociles, ils élaborent des stratégies d’immobilisme pendant que les flics de base avalent des couleuvres, eux qui sont les seuls à connaître et vivre la réalité de la sécurité publique.
Pièces jointes témoignant du chemin parcouru :