Non à la contravention pour usage de drogues

30 Avril 2018

prohibition

Publié le 02/03/2018 • Mis à jour: 14/03, 30/04 et 17/06/2018

En juillet 2017, le ministre de l’Intérieur entendu par la commission des Lois fait le constat d’une répression de l’usage de drogues inefficace, sans effet dissuasif, et néanmoins très chronophage pour les forces de l’ordre (1.2 millions d’heures en 2016) L’idée est donc de mettre en place une procédure simplifiée en forfaitisant cette infraction, et de l’inclure dans la future loi de réforme de la procédure pénale.
La réflexion menée dans le cadre des Chantiers de la Justice faisaient pourtant état d’une réserve sans ambiguïté quant à l’application d’une amende forfaitaire à l’usage de drogues, ce délit devant relever d’une politique judiciaire conjointe avec la santé publique.

Tous les chiffres et indicateurs sont éloquents : les interpellations pour usage ne cessent d’augmenter et ce, trois fois plus que celles pour trafic.
- Usage de drogues : 63,7 % en 2012 - 68,1 % des ILS* en 2016
- Trafic : 7,1 % en 2012 - 3,2 % des ILS en 2016
La France est pourtant le pays le plus répressif, et aussi le plus gourmand d’Europe en stupéfiants, notamment cannabis, opiacés, cocaïne et MDMA.

Pour la dépénalisation de l’usage des drogues

La répression est sans effet sur l’usage de drogues, très peu compatible avec la prévention, l’action publique est en échec flagrant depuis la loi de prohibition de 1970, mais le gouvernement a décidé de persévérer dans une logique punitive.

Une mission d’information relative à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants a donc été créée pour évaluer ce dispositif, et alimenter sa réflexion de multiples auditions, experts et parties prenantes dans le débat (police, gendarmerie, justice, etc.) parmi lesquels les représentants de ce qui est relatif aux dispositifs sanitaires et sociaux, toxicomanies et addictions, prévention et réduction des risques, et les usagers de drogues, sont sous-représentés.
Table ronde Fédération Addiction, CNDCH, et associations d'usagers et de réduction des risques

En préambule du rapport et après avoir indiqué que la loi de 1970 n’avait atteint ses objectifs ni en terme de santé publique, ni dans le registre de la répression, figure l’avertissement suivant :

« Cette mission n’a pas pour objet de réfléchir à la lutte contre la toxicomanie ou à la réforme de la loi du 31 décembre 1970... »

Ça peut sembler paradoxal et cynique, mais au moins c’est clair.
 

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Amende forfaitaire : contravention ou délit ?


Les deux rapporteurs de cette mission se distinguent sur le genre de forfaitisation à mettre en place.

• L’un (Robin Reda, LR) préconise une contravention de 4è ou 5è classe (aux modalités et incidences judiciaires pourtant très différentes) et, si normalement celle-ci éteint l’action pénale, la police pourra toutefois user de solutions alternatives, ou simplement établir une procédure de détention de stupéfiants plutôt que d’usage. Les deux infractions étant concrètement indissociables, bien que figurant pour l’une dans le code pénal, et l’autre dans le code de la santé publique.
Aucune quantité n’étant fixée par la loi, le délit de détention peut s’appliquer à tout usager.

• L’autre rapporteur (Éric Poulliat, LREM) plaide pour une amende forfaitaire délictuelle, celle qui a la faveur du gouvernement. Cette amende d’un nouveau genre, initialement créée en 2016 pour être appliquée à deux délits routiers, est restée en suspens, encore inopérante d’un point de vue technique, logistique et juridique.
Malgré cela, c’est l’option retenue en matière d’usage de drogues, infraction pour laquelle, en plus, des dispositions spécifiques annexes seraient nécessaires.
L’amende forfaitaire délictuelle sanctionne un délit via l’agent verbalisateur, elle s’inscrit dans le TAJ* et, de caractère optionnel, elle permet de conserver les possibilités de coercition et d’enquête propres à cette catégorie d'infractions.

La forfaitisation de l’infraction d’usage de drogues n’est qu’une réponse pénale de plus, qui s’ajoute à celles prévues par la loi, mais qui va permettre une répression accrue et systématisée.
(la DACG* prévoit déjà que ce dispositif entraînera une augmentation des interpellations)
 

L'option de l’amende forfaitaire délictuelle est retenue

(mise à jour 14 mars 2018)

Projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022

Au chapitre Dispositions clarifiant et étendant la procédure de l’amende forfaitaire, il est indiqué (pages 40-41) que c’est l’amende forfaitaire délictuelle qui sera donc appliquée, et que l’article L. 3421-1 du code de la santé publique sera modifié par le rajout de l’alinéa suivant :

« Pour le délit prévu au premier alinéa, y compris en cas de récidive, l’action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 et suivants du code de procédure pénale, par le versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 300 €. Le montant de l’amende forfaitaire minorée est de 250 € et le montant de l’amende forfaitaire majorée de 600 €. »

Le rapport de la mission d'information avait préconisé une amende d'un montant moindre, compris entre 150 et 200 euros, notamment en raison de l'insolvabilité des usagers.


Sur le terrain, que fait la police ?


Le dispositif de l‘amende forfaitaire délègue donc la réponse pénale à l’infraction d’usage de drogues aux forces de l’ordre, plus que jamais en première ligne de la politique publique des drogues.
 

Pragmatique ?

Il conviendra d’équiper les patrouilles de smartphones et tablettes NEO pour un accès direct au TAJ (les antécédents judiciaires étant incompatibles avec l’amende forfaitaire) et de quoi éventuellement percevoir l’amende sur le lieu de l’infraction. Mais aussi de kits de détection, de balances de précision, d’un matériel avec scellés dédié aux saisies, afin de s’assurer et garantir la validité de la procédure - aussi indispensable en cas de contestation de l’amende, recours dont le traitement fait déjà partie des prévisions négatives de ce dispositif.

Les représentants des forces de l’ordre ont émis une réserve quant au fait que l’amende immédiate prive de la possibilité de relevé d’empreintes des usagers de drogue interpellés pour alimenter le FAED*. Qu’à cela ne tienne, il leur sera remis une convocation à se rendre au commissariat dans les 48 heures.
 

Simplification ?

• Les mineurs sont exclus de l’application de l’amende forfaitaire.
Leur cas sera examiné par une mission d’information ultérieure qui déterminera quel genre d’interdit pénal peut être approprié aux plus jeunes consommateurs de drogues.
(En 20 ans, le nombre de mineurs mis en cause pour ILS a été multiplié par 4 (x2 pour les majeurs). Dans le même laps de temps, les condamnations pour ILS des moins de 18 ans sont multipliées par six )

• Les usagers de drogues ayant des antécédents judiciaires sont exclus eux aussi. À ces cas, la procédure de droit commun (garde à vue, etc) s’applique.

• Pas d'amende forfaitaire non plus en cas de simultanéité d'infractions.
 

Logique et responsable ?

• Exclus aussi du dispositif, les usagers de drogue problématiques.

Il reviendra au procureur de définir ce qu’est un "usager problématique" !

« il appartiendra aux parquets (via une circulaire générale du garde des sceaux), maîtres de l’opportunité des poursuites, de préciser dans le cadre de leurs instructions le "profil" des personnes susceptibles de ne pas se voir infliger l’amende forfaitaire. »

Et il incombera aux policiers et gendarmes de les identifier selon les instructions du Parquet, et d’appliquer la procédure habituelle.
Ce qui relève de la situation sanitaire et sociale de l’usager de drogues, d’une conduite à risque qui pourrait faire l’objet d’une mesure spécifique, devra donc être évalué sur la voie publique dans le temps de l’interpellation... par des fonctionnaires qui n'ont absolument pas la compétence pour ce type de "diagnostic".

Autant dire qu’il s’agit là d’une porte grande ouverte à la confusion, l’approximation, l’erreur de discernement, voire à l’arbitraire.

• Le rapport de la mission parlementaire préconisait la non application de l’amende en cas de récidive. Il notait à cet égard que « les règles classiques en matière de récidive sont manifestement inadaptées à l’infraction d’usage de stupéfiants qui, dans l’immense majorité des cas, vise un comportement par nature addictif et répétitif. » et préconisait donc un régime particulier en matière de récidive.

La mission d'information établit un lien sensé entre les notions de récidive d'usage de drogues et de santé. Mais il n’en sera pas tenu compte : les usagers de drogue en récidive seront passibles d'amende (mise à jour 14/03/2018).
Et peu importe si la récidive cache une conduite à risque réitérée à l’excès, ou une toxicomanie. Peu importe aussi que l’amende exclut de fait l'hypothèse de mesures sanitaires.


Conséquences et incohérences


À la lecture de ce rapport préalable au projet de loi, on se rend compte qu’au fur et à mesure que les modalités de ce nouveau dispositif sont décrites et discutées, autant de contraintes, de complications et de contradictions s’y ajoutent quand il s’agit de réprimer le simple usage de drogues.
Et à entendre les divers débats et tables rondes de cette mission d’information, même les deux parlementaires émettent des réserves, et semblent parfois douter de la validité de cette mesure…

Ce dispositif d’amende forfaitaire délictuelle n’a encore jamais fait ses preuves ni même été appliqué.
Le gain de temps pour la police et la justice, argument initial pour sa mise en place, est non seulement difficile à évaluer, mais vu les exceptions à cette nouvelle règle, et vu le nombre de recours qui s’annonce massif, il sera probablement dérisoire.

Cette forfaitisation devait donc, selon le rapport parlementaire, être expérimentée sur un temps limité à une échelle locale. Le projet de loi rectifie le tir : « Ces dispositions seront applicables sans adaptation sur l’ensemble du territoire national. » (mise à jour 30/04/2018)

L’amende forfaitaire est la solution retenue car elle permettrait d’harmoniser la réponse pénale jugée illisible et disparate d’un parquet à l’autre.
Or, l’individualisation de cette réponse est pourtant indispensable s’agissant d’une conduite individuelle à risque pouvant avoir une incidence sur la santé. C’est en tout cas ainsi - aussi incohérente et inefficace soit-elle - que la loi considère l’usage de drogue, infraction figurant dans le code de la santé publique.

Ce dispositif exclut donc de fait d’assortir une mesure sanitaire à la répression pénale.

Il est toutefois prévu la mention d'une adresse de structure prenant en charge les toxicomanies et addictions au verso de l’avis de contravention.
Ouf. L’esprit de la loi de 1970 est donc sauvé...
 

Il s’agit d’une sanction discriminante à plusieurs titres.

• Cette procédure simplifiée s’appliquera sans surprise à une population bien spécifique : celle des quartiers populaires, jeune, la moins solvable, et surtout la plus vulnérable d’un point de vue sanitaire et social.
Les chiffres indiquent pourtant que les classes moyennes consomment davantage que les plus précaires. Et aussi que toutes les tranches d’âge sont concernées par l’usage de drogues.

Alors est-ce véritablement l’usage de drogues qui pose problème ?

La répression s’applique-t-elle à une conduite individuelle à risques, ou plus confusément, à un comportement ou à des individus ?

Le ministre de l’Intérieur donne une réponse sans ambiguïté à cette question.


Tout ça pour ça…


Après que le rapport de la mission d’information parlementaire lui ait été remis, le ministre n’évoquait plus que le cannabis (Europe1 le 25 janvier 2018) Dans ce document, et de façon récurrente, les deux députés insistent pourtant sur le principe, important selon eux, de ne pas faire de distinction entre les stupéfiants, ce qui avait mis tout le monde d’accord.

« (les rapporteurs) considèrent, en outre, que cette procédure d’amende forfaitaire doit concerner tous les stupéfiants sans distinction juridique ou de politique pénale selon le type de substance en cause. En effet, l’évolution de la composition des différents stupéfiants, l’apparition de « nouveaux produits de synthèse » (NPS) et le développement de la poly-consommation font que la distinction entre « drogues douces » et « drogues dures » n’est plus pertinente aujourd’hui. Par ailleurs, cette distinction pourrait accroître le sentiment de « banalisation » du cannabis dans l’opinion alors que sa consommation atteint un niveau préoccupant en France, notamment parmi les jeunes, et que sa composition en THC a beaucoup évolué ces dernières années. »

Personne ne parle plus de stupéfiants ni ne s’interroge de la subtilisation de ce mot dans le discours. C’est le cannabis, on le comprend bien, qui fera recette. Le cannabis et ses consommateurs, nombreux, visibles, et qu'on sait où trouver...
La communication gouvernementale est néanmoins défaillante sur ce point à force de ne pas employer les mêmes mots que la loi, et du même coup, fait perdurer le mythe de la drogue dure et de la drogue douce, au mépris de la réalité des usages de drogues.

Mais surtout, on apprend (BFM le 9 février 2018) que la procédure d'amende pour usage de "cannabis" fera partie d’un ensemble de forfaitisations de petits délits, manière de taper tout de suite au porte-monnaie pour travailler à la reconquête républicaine de certains quartiers, charge à la nouvelle police de sécurité du quotidien d’encaisser le jackpot contraventionnel, de préférence sur place et sans délai.

L’usage de drogues se trouve purement et simplement classé dans la catégorie des incivilités et ne serait in fine qu’un problème d’ordre public.

En 1970 la loi s’était fixé, en théorie, de sanctionner pénalement les seuls usagers se soustrayant aux soins. Avec le temps, le prétexte sanitaire de la répression est apparu de moins en moins évident, avec l'amende forfaitaire il est purement et simplement dissocié de l’usage de drogues.

Quant à la "police de sécurité du quotidien", on va se dépêcher d’oublier qu’elle aurait pu être le vecteur d’un apaisement et d’un rapprochement avec la population, notamment celle avec qui elle partage crainte et inimitié. Oubliée aussi, la prévention, celle qui fait partie des missions de police un peu trop négligées, qui ne connaît pas la politique du chiffre mais donne du sens au principe de service public.

Le ministre de l’Intérieur, parangon de la révolution numérique pour une police du XXIème siècle, fera de ces îlotiers équipés pour une optimisation du rendement, les artisans d’une police sans âme, et d’impopulaires collecteurs de taxes pour un État proxénète irresponsable.


Moralité de l’histoire : un rendez-vous manqué avec la raison


Avec cette grosse usine à gaz de forfaitisation, une fois de plus, la question impérative sur la politique des drogues et de santé publique est contournée.
La prohibition et la répression restent le principe, sourd à tous les signaux d’alarme qui s’allument les uns après les autres.

Le constat de l’inutilité de la répression de l’usage de drogues est unanime.
Les pays qui y ont renoncé en tout ou partie, n’ont pu qu’observer des résultats positifs, tant en matière de santé publique, de réduction des risques, et de sécurité.

En juin 2017, l’OMS et l’ONU dans un communiqué conjoint appellent à "Réviser et abroger les lois punitives qui se sont avérées avoir des incidences négatives sur la santé et qui vont à l’encontre des données probantes établies en santé publique (s’agissant de) consommation de drogues ou leur possession en vue d’un usage personnel".

La prohibition génère une insécurité incontrôlable liée au trafic, notamment celui du cannabis qui représente un important marché, à la mesure du nombre de consommateurs.
Le trafic n’a que faire de l'interpellation et la répression des usagers ou de la forfaitisation, les prix sont stables, signe qu’il se porte bien, et à force de réactivité et d’adaptation, il a souvent une longueur d’avance sur l’action policière.
La régulation du marché du cannabis est une question qui ne pourra d’ailleurs pas être évitée ad vitam æternam.
 

Il y a urgence à changer de politique


L’information et la prévention sont inaudibles, et quasiment clandestines, l’usager-délinquant privilégiant la discrétion à la réduction des risques.

L’interdit participe largement au problème de santé publique. De nouveaux produits apparaissent régulièrement, la cocaïne est de plus en plus pure, la festive MDMA s'invite dans les Samu, le taux de THC du cannabis de rue est élevé, le Fentanyl - qui a fait baisser l’espérance de vie aux USA, depuis deux ans, à coups d’overdoses est désormais un produit de coupe de l’héroïne en France. Etc.

Informer sans tabou, prévenir et soigner sont les seules options d’intérêt général. La dissuasion ne passe pas par la répression. Les mineurs n'ont que faire des interdits, bien au contraire. Et l’usage de drogues ne peut raisonnablement pas être résumé à un trouble à l’ordre public, et n’avoir qu’une approche sécuritaire après bientôt 50 ans de prohibition en échec.

Si le travail de la police et la justice doit être concentré sur le trafic - un autre prétexte sibyllin de la forfaitisation - qu’à l’instar du Portugal, les usagers interpellés avec une quantité de drogue limitée à une consommation personnelle, soient dirigés, via une procédure administrative, vers une commission qui se chargera d’évaluer leur situation sanitaire et sociale, et décider de la suite à donner.

Et que l’usage de drogues soit purement et simplement dépénalisé
Sans demi-mesure répressive.


sources :

 

ILS : Infraction à la Législation sur les Stupéfiants
TAJ : Traitement des Antécédents Judiciaires
DACG : Direction des Affaires Criminelles et des Grâces
FAED : Fichier Automatisé des Empreintes Digitales

lire les commentaires sur facebookPour la dépénalisation de l’usage des drogues

Bénédicte Desforges, ex lieutenant de police

#drogues & législation, #politique du chiffre

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L
franchement propre et sans équivoque une très bonne analyse de notre triste monde merci de me permettre de voir que je ne suis pas le seul qui désespère dans un monde ou tout se détourne de l'humain
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A
top la derniere ligne
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M
Enfin un peu d'intelligence , de bon sens, et d'honnêteté dans ce débat ! Merci
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B
Merci pour tous ces gentils qualificatifs. Je prends !