La France dans le meilleur des mondes
26 Novembre 2013
Tribune de Marc Louboutin
ex lieutenant et auteur
« En visant génériquement la prévention de la criminalité, ce régime d'exception s'appliquera à toutes les infractions. »
Oubliés les manifestations publiques et les hurlements médiatiques au "fascisme rampant"... Les projets de fichages et de contrôles globaux poursuivent de se multiplier tranquillement, quel que soit le pouvoir politique en place dans notre pays dont les droits de l'Homme sont dénaturés au point de ne plus se traduire qu'en stériles polémiques communautaires, comme autant de rideaux de fumée pour masquer la réalité.
On pourrait s'étonner qu'un ancien flic, dont la légende urbaine voudrait qu'il soit un fervent défenseur du contrôle général à tout prix, s'inquiète ainsi de cette modernité technologique qui veut nous mettre tous sous sa coupe. C'est sans doute que je dois être un des rares à ne pas avoir oublié un fondamental moribond de notre république :
"La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée."
La constatation évidente de ce qui s'est passé ces vingt dernières années montre que désormais la force publique est à la botte exclusive - pied droit ou gauche - du pouvoir politique et de sa communication. Et cela sans contrôle indépendant. Rassurer en promettant une commission nationale de contrôle, qui serait capable de vérifier toutes les requêtes relève de l'intox : si l'on s'en tient aux seuls chiffres actuels des 45 000/an, ne représentant que 123 dossiers par jour en travaillant 7j/7 et 24h/24, c'est dire l’impossibilité.
Comme d'ordinaire, pour justifier de telles mesures, les tenants de l'ordre, tous partis confondus, argumenteront de l'image d’Épinal avec comme leitmotiv Celui qui n'a rien à se reprocher n'a rien à craindre.
C'est oublier un peu vite qu'à entendre les trois partis majoritaires de notre pays (n'en déplaisent aux aveugles, le FN en fait bien partie), chacun y va de dénoncer avec virulence ceux qu'il considère comme sa propre anti-France à combattre sans merci.
En fonction de l'évolution politique, du hasard des urnes ou des soubresauts gouvernementaux, nous sommes donc tous, camarades, susceptibles d'être dans une catégorie à "surveiller". Pour les sceptiques, demandez-vous si vous n'êtes pas classé par une de ces composantes politiques dans les tiers-mondistes, ou bien considérés comme un extrémiste quelconque, un agitateur, un simple contestataire, ou encore un populiste, un terroriste potentiel, un profiteur du système, un non-démocrate, un pas assez blanc ou que sais-je encore. Se rappeler au passage que le simple fait d'être catholique suffit à présenter une tête de nazi - donc à combattre - d'après les propos publics d'une des collaboratrices de C. Taubira, et cela dans l'indifférence générale...
Depuis 2002 nous voyons émerger dans les dénonciations politiques, dans les discours publics, avec une virulence de plus en plus affirmée, sans faiblir jusqu'aujourd'hui, la notion de délit d'opinion. C'est à dire le simple fait de ne pas être en phase avec le pouvoir en place. Et cela, même hors tout militantisme politique d'opposition. Il suffit de lire la presse aujourd'hui pour constater que les intersyndicales, hussards du PS en service commandé, lancent une grande offensive "anti-poujadisme", dont les manifestants représenteraient une gangrène pour la France...
Qui peut donc raisonnablement croire qu'il ne sera jamais "en infraction" en ces temps de fractures radicales des opinions françaises ?
Les contrôles de population, comme les hausses de rentrées fiscales, ne font jamais l'objet d'un retour en arrière par un nouveau pouvoir - le même qui avant son accession, alors dans "l'opposition", hurlait à la mort lors de votes de lois et dispositifs fascistes, liberticides, nauséabonds, etc, etc.
C'est ainsi. C'est la règle. Le pouvoir aime SON pouvoir. Tout comme l'assurance d'user de son budget augmenté par ses faux ennemis. Croire le contraire et la primauté du principe de l’intérêt général pour la classe politique serait d'une naïveté confondante.
Tout comme de croire que le PS représenterait encore assez de valeurs dites "de gauche" pour s'abstenir de poursuivre cette grande œuvre commune à tous les partis d'instaurer un grand flicage généralisé et indifférencié.
Téléphone, Internet: l'État pourra bientôt tout espionner
[Figaro 26 novembre 2013]