Le cow-boy

20 Juillet 2007

   On patrouille dans un quartier sensible du nord du département.
   Les cités se suivent et se ressemblent. Les barres d’immeubles impriment leur longueur et leur laideur sur le ciel, et avec ces fenêtres qui ressemblent à des hublots, elles ont l’air de gigantesques paquebots enlisés. Des bâtiments qui n’étaient pas faits pour voguer, mais pour s’échouer, la rouille dans le béton. Ceux qui en sortent ne voyagent pas loin, la ligne d’horizon n’est qu’un reflet dans l’angle mort de la ville.
   Et ceux qui s’en éloignent ne veulent pas revenir.
   On roule au ralenti au milieu de la cité. Un jeune gardien de la paix stagiaire qui rêvait d’anticriminalité vient d’arriver à la brigade, et on lui montre le secteur. Il est anxieux, il regarde passer les gamins en bande, les mâchoires serrées à s’en faire grincer les dents. Il décroche discrètement la matraque de son ceinturon et la pose sur ses genoux. Le brigadier me demande de faire demi-tour et de me diriger vers un petit groupe qu’on vient de croiser. Je ralentis à leur hauteur, et aussitôt le jeune stagiaire saute de la voiture en marche, la trique à la main, et leur hurle de s’arrêter et de ne plus faire un geste.
   - Oh ! Ça va pas toi ? s’insurge un des jeunes.
   - Ta gueule ! Bouge pas ! répond l’autre, surexcité, Qu’est ce que tu as dans ton sac ?
   Je gare la voiture. Le jeune se penche vers son sac…
   - Non ! Bouge pas connard, je te dis ! Pas un geste ! Ne touche pas au sac ! continue le stagiaire
   - C’est mes affaires de foot ! se met alors à crier le garçon.
   Le brigadier descend de voiture et se précipite.
   - Mais qu’est ce qui t’arrive ? dit-il au jeune flic.
   - Et bien quoi ? Quoi ? Mais quoi ? On allait les interpeller, non ?
   - Non, pourquoi ?
   - Mais tu as bien dit de les suivre !
   - Oui, mais pas pour leur sauter dessus comme un sauvage ! Je les connais bien, j'habite ici et on joue au foot ensemble !
   Ce collègue n’a jamais compris que l’hostilité ne pouvait pas être un préalable au boulot de flic. Il n’a jamais compris qu’une interpellation qui débute par des cris ne peut aller qu’en haussant le ton. Il a très vite fait l’expérience que si ses cris et ses insultes n’avaient plus d’effet, il ne lui restait plus qu’à cogner. Il ne s’est jamais posé la question de savoir s’il n’était pas à l’origine des outrages qui lui étaient faits chaque semaine. C’était une façon pour lui de faire du crâne. Provoquer et en réprimer l’effet. Facile…
   Alors il s’est coupé les cheveux très courts, et il s’est équipé comme s’il partait à la guerre. Mitaines en cuir, rangers, plusieurs paires de menottes, une bombe lacrymogène de la taille d’un extincteur, et quelques gadgets importés des États-Unis.
   Et il parait qu’il a continué à bondir des voitures, avec la matraque en érection.
 

texte extrait de Flic, chroniques de la police ordinaire

Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

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